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Cette semaine, nous nous intéressons de plus près au droit de l’environnement. Il y a présentement de nombreux débats autour du globe concernant les changements climatiques et concernant la réponse que les États devraient adopter face à cet enjeu. Au Québec, il y a eu plus particulièrement de nombreux débats et préoccupations concernant les projets de pipeline et les hydrocarbures.
Cet article offre un aperçu du Centre Québécois du droit de l’environnement, un organisme basé à Montréal qui a été très actif en la matière dernièrement.
Progressive Lawyer: Pouvez-vous s’il vous plait vous présenter et décrire votre rôle au sein du Centre québécois de droit de l’environnement (« CQDE »)?
Karine Péloffy : Mon nom est Karine Péloffy, je suis avocate et directrice générale du Centre québécois de droit de l’environnement.
PL : Pourquoi le CQDE a-t-il été créé? À quels problèmes l’organisme répond-il?
KP : Le Centre a été créé en 1989 par Me Michel Bélanger et d’autres avocats qui étaient parmi les premières personnes au Québec à s’intéresser à la défense de l’environnement d’un point de vue juridique. Le CQDE a été fondé pour favoriser l’utilisation droit comme outil indispensable pour protéger et représenter les intérêts des citoyens, de la nature et de l’environnement.
Historiquement, le Centre a été actif sur plusieurs enjeux majeurs comme l’exploitation minière en 1991 puis en 2013, la tentative de privatisation du parc national du Mont-Orford en 2010, mais aussi la prolifération des algues bleues, les poursuites-bâillons, la centrale thermique Suroît et l’exploitation du gaz de schiste. Nous abordons aussi de grandes thématiques comme la conservation des milieux naturels, la protection de l’eau et la lutte aux changements climatiques.
Le Centre tente d’agir en temps réel sur les problèmes environnementaux qui surgissent dans l’actualité. Par exemple, à l’été 2014, nous sommes allés devant les tribunaux à plusieurs reprises pour protéger le béluga et demander une injonction contre les forages préliminaires entrepris par TransCanada, qui souhaitait construire un port pétrolier dans l’habitat critique de l’espèce.
Ces jours-ci, l’organisme travaille beaucoup sur les questions liées à l’exploration et au transport des hydrocarbures, de même que sur la protection des espèces menacées.
PL : Quels services sont offerts par le CQDE? Quel est son public cible?
KP : Nous agissons sous trois angles d’intervention :
- Auprès des citoyens qui font directement appel au Centre : nous répondons aux questions juridiques liées aux problématiques environnementales auxquelles ils font face;
- Nous présentons des mémoires en commission parlementaire concernant des projets de loi à vocation environnementale. Environ cinquante mémoires ont été présentés par le CQDE au cours des années;
- Nous entreprenons des recours juridiques pour forcer l’application du droit de l’environnement et en favoriser l’évolution.
Notre public cible est essentiellement tout le monde au Québec, quoique peu de grands pollueurs font appel à nos services…
PL : Vos services sont-ils offerts gratuitement? Comment le CQDE finance-t-il ses activités?
KP : Nous aidons beaucoup de citoyens de manière pro bono et adaptons nos services payants à la capacité financière des clients, pour demeurer accessibles.
Pour ce qui est des recours judiciaires, par contre, il y a souvent des frais importants, cela même si nous travaillions avec plusieurs avocats bénévoles. Les frais fixes de la Cour peuvent parfois nous être imputés et il y a bien souvent des expertises à présenter. Notre financement repose sur les dons du public et sur certains mandats rémunérés ou encore sur des mandats de recherche qui nous sont octroyés, ou encore des conférences que nous offrons.
Mais il ne faut pas se leurrer, le CQDE est un organisme aux moyens modestes qui tente de faire des miracles avec très peu de ressources. Nous sommes présentement en campagne de financement pour notre 25ième anniversaire afin de pérenniser l’organisation et d’offrir plus de services gratuits. Vous pouvez trouver 25 bonnes raisons de soutenir le CQDE au 25bonnesraisons.org. Donnez généreusement!
PL : Comment utilisez-vous le droit en tant qu’outil permettant de poursuivre vos objectifs organisationnels?
KP : L’évolution du droit en soi fait partie de nos objectifs organisationnels. Par le passé, certains dossiers ont été priorisés en raison de l’importance des enjeux juridiques soulevés, même si l’impact sur le terrain était moins grand.
Par contre, nous évoluons maintenant dans un contexte très particulier et inquiétant. Que l’on considère l’extinction des espèces en péril, la disparition des milieux humides si nécessaires, ou la menace posée par les changements climatiques, l’environnement – et les humains qui en dépendent – ont urgemment besoin de protection. Or, le droit qui est censé les protéger est aussi en crise, souvent sacrifié à la faveur de profits et de projets à court terme.
Alors que le gouvernement fédéral a démantelé le cadre législatif environnemental, le gouvernement provincial a adopté des lois spéciales pour invalider des recours que nous avions intentés dans le cadre de projets où le gouvernement était aussi partie prenante.
Dans ce contexte désolant, nous travaillons à sauver les meubles le plus possible. Nous intervenons in extremis pour tenter d’épargner les espèces en péril comme la rainette faux-grillon et le béluga du Saint-Laurent. Compte tenu de l’urgence environnementale générale, notre pratique évolue et il arrive que l’on choisisse de prioriser plutôt la protection effective de l’environnement sans que cela ne fasse nécessairement avancer l’état du droit.
Mais nous ne pouvons rester sur la défensive éternellement. En 2015, nous allons passer à l’offensive avec des propositions juridiques novatrices. Restez à l’affût!
PL : Comment décririez-vous la relation entre la politique et le droit dans le cours des activités du CQDE, ou du droit de l’environnement en général?
KP : Le droit environnemental existe sur papier, mais en pratique il arrive souvent qu’il ne soit pas appliqué pour cause de considérations politiques ou économiques. Même lorsque nous présentons des arguments purement juridiques, il arrive que certains tentent de discréditer le Centre parce qu’on s’en prend à des intérêts économiques importants.
Le CQDE n’a jamais reçu de financement substantiel du gouvernement. Dans le passé, il est arrivé que le CQDE reçoive des offres auxquelles étaient attachées des obligations de ne pas poursuivre l’État en cas de non-application du droit. Ces offres ont été refusées afin de ne pas restreindre le champ d’action du CQDE ou de limiter son rôle de chien de garde de l’environnement.
PL : Quel rôle est attribué aux professionnels du droit au sein du CQDE?
KP : Il y a deux avocats qui travaillent à temps plein de façon rémunérée au sein du Centre, incluant moi-même. Il y a aussi Me Michel Bélanger, le fondateur et président du C.A. qui fournit une aide et des conseils constants. À certains moments, nous accueillons des stagiaires en technique juridique, des stagiaires du Barreau, des étudiants qui font des cliniques juridiques et nous comptons sur un réseau d’avocats bénévoles et un conseil d’administration très impliqué.
Les professionnels du droit qui effectuent du travail pour le CQDE font de la recherche juridique, de la représentation devant les tribunaux, de la rédaction, essentiellement tout ce qu’un avocat ferait dans la pratique privée, mais de façon plus conviviale et gratuitement. Je suis extrêmement inspiré par les avocats qui s’impliquent avec nous, et plusieurs me disent que c’est l’aspect le plus enrichissant de leur vie professionnelle.
PL : Comment est-il possible pour un professionnel du droit de poursuivre une carrière au CQDE? Quels conseils donneriez-vous à un étudiant en droit ou à un professionnel du droit qui voudrait pratiquer en droit de l’environnement?
KP : Malheureusement pour le moment nous avons des moyens financiers très limités et les postes payants sont très rares. Par contre, comme mentionné plus haut, nous recevons régulièrement des stagiaires et travaillons avec des avocats bénévoles. Nous sommes très ouverts et collaboratifs. C’est plus facile pour nous de travailler avec gens qui sont dans la région de Montréal, mais il n’est pas non plus complètement exclu de s’impliquer à distance. Nous espérons avoir plus de ressources prochainement afin de pouvoir embaucher plus d’avocats; c’est d’ailleurs le but ultime de la campagne de financement 25bonnesraisons.org.
(Voici le lien pour s’impliquer auprès du CQDE)
Pour ce qui est des conseils à donner à quelqu’un qui voudrait travailler en droit de l’environnement, je dirais de persévérer et d’insister.
PL : Croyez-vous qu’il est essentiel d’avoir un bagage scientifique ou en environnement dans le cas d’un juriste qui voudrait travailler dans ce domaine?
KP : Personnellement, j’ai commencé par des études en droit et j’ai ensuite fait des études multidisciplinaires en environnement, qui visaient surtout à comprendre sous plusieurs angles les différents enjeux et les causes systémiques sous-jacentes aux problèmes environnementaux.
Les dossiers de droit de l’environnement sont presque toujours appuyés d’expertises scientifiques. La difficulté est de traduire ces expertises, qui peuvent paraître obscures et complexes, et qui comportent souvent des degrés d’incertitude en termes de causalité et de balance des probabilités, en arguments juridiques solides. Pour cette raison, un bagage en environnement ou en sciences est un atout, mais ce n’est pas une nécessité absolue.
Il y a beaucoup d’avocats qui pratiquent en droit de l’environnement, et la plupart sont du côté des entreprises. Pour une personne qui souhaiterait travailler pour la protection de l’environnement uniquement, je dirais que ce n’est pas nécessairement la formation académique qui fait la différence, mais davantage le dévouement, le courage et la volonté.
PL : Comment assurez-vous l’équilibre entre votre vie professionnelle et votre vie personnelle?
KP : C’est une bonne question car j’ai intégré mon poste plutôt récemment et mon travail me passionne. On travaille présentement sur des énormes dossiers ou nous ne sommes pas à armes égales du tout avec nos adversaires, alors nous devons mettre les bouchées doubles. C’est d’autant plus difficile lorsqu’on travaille sur des injonctions. C’est un effort constant de se donner du temps pour soi-même et de ne pas s’épuiser. Par contre, quand on fait un travail qui nous passionne, je ne vois pas ça comme étant mal en soi, tant qu’on ne s’épuise pas. Je fais aussi du yoga pour gérer mon stress et j’essaie de passer du temps en nature, histoire de me rappeler pourquoi je fais tout ça!
PL : Mis à part votre travail au CQDE, quels sont les sujets ou enjeux qui vous passionnent particulièrement?
KP : Ce qui m’a amené à me dévouer à l’environnement en général, plutôt qu’à une autre cause sociale, est la lutte aux changements climatiques. Pour moi, les changements climatiques sont une crise existentielle de l’humanité: cela nous force à redéfinir ce qu’est le progrès, une « bonne vie », la justice, etc.
Au niveau juridique, seulement la pointe de l’iceberg est visible présentement et je pense que le droit évoluera beaucoup afin de faire face et s’adapter à cette nouvelle réalité.
J’ai également énormément d’admiration pour la mobilisation citoyenne sur ces enjeux, au Québec et ailleurs dans le monde. Cela me donne énormément d’espoir alors qu’il est parfois difficile de rester optimiste sur ce sujet.
PL : Quel rôle croyez-vous que les avocats et le droit devraient remplir au sein de la société?
KP : Faire avancer la justice. Le droit ne se rapproche pas toujours de la justice et parfois s’en éloigne. Je crois que c’est notre devoir le plus fondamental de juristes de faire évoluer la notion de justice, qu’elle soit de plus en plus inclusive, qu’elle rende visible et trouve un remède à de plus en plus d’injustices et de s’assurer que le droit écrit évolue pour rendre compte de notre évolution morale.
Pour avoir un aperçu du travail juridique du CQDE, je vous invite à lire les communiqués de presse suivants sur le site du CQDE :
http://www.cqde.org/victoire-la-cour-ordonne-larret-immediat-des-travaux-de-forages-a-cacouna/